De l’art délicat de la glane

glane fleuriste
picto de rose

Je vous parle régulièrement de glane par ici, en effet il est très rare que les compositions qui quittent mon atelier ne contiennent pas au moins quelques tiges de végétaux cueillis par mes soins (je détaillais dans cet article la provenance des fleurs dans mes créations). 

Je trouve que cette partie de l’activité mérite son propre article, car elle est à mes yeux à la fois essentielle et peu comprise.

Quelques explications…

 

Qu’est-ce que la glane?

Glaner (du latin glenare) : action de recueillir les épis de blé restés sur le champ après le passage des moissonneurs. 

À l’origine, ce terme concernait un droit ancestral autorisant les plus modestes à ramasser les produits restés au sol après la récolte (grain, pommes de terre, fruits…), comme l’illustre le tableau de Jean-François Millet en fin d’article.

Cette pratique existe toujours et est autorisée sous conditions: certains groupes humanitaires glanent dans les champs pour redistribuer cette nourriture autrement invendue, d’autres personnes glanent tout simplement pour survivre, d’autres encore dans une démarche de limiter le gaspillage alimentaire.

Le glanage définit d’ailleurs aussi par extension le fait de collecter la nourriture à la fin des marchés ou de récupérer les invendus des supermarchés. 

Agnès Varda a documenté cette pratique dans son film ‘Les Glaneurs et la Glaneuse’ sorti en 2000.

Les fleuristes utilisent par extension le terme ‘glane’ pour parler de cueillette sauvage, du fait d’aller cueillir et ramasser dans la nature feuillages, branchages, mousse…

 

Pourquoi glaner?

Je glane pour plusieurs raisons:

– Parce que c’est la matière première la plus éco-responsable! Utiliser des végétaux glanés, ce sont toujours moins de végétaux qui auront fait le tour du monde après avoir été gavés de pesticides : on ne peut pas faire plus local et plus bio.

– Parce que ça me permet de travailler des végétaux que je ne trouverais pas autrement chez mes fournisseurs : des variétés différentes, et aussi des volumes différents. Je n’ai encore jamais vu chez un grossiste des branches de chêne de 2m de long, pourtant ça me sert dans mes installations. 

– Parce que les végétaux sauvages, moins calibrés, moins parfaits, permettent de donner tout de suite un aspect plus naturel, plus indompté aux compositions. Ils définissent tout à fait cette ‘parfaite imperfection’ que j’affectionne tant et que j’essaie de retranscrire dans chacun de mes arrangements.

– Enfin parce que c’est une activité que j’adore! Je ne pars jamais en ballade sans un sécateur dans la poche car quand on commence à regarder un peu autour de nous, sur les bords de route… on se rend vite compte qu’il y a des trésors un peu partout!

 

Il y a les bons et les mauvais glaneurs…

Je ne pouvais pas ne pas faire un clin d’oeil à ce sketch des Inconnus, mais plus sérieusement la glane est une pratique, que dis-je un art, qui se doit de respecter certaines règles.

Voici le « code de conduite » que je me suis fixé :

– invisible tu seras : pas de combinaison de super-héros au programme, j’entends juste par là que mon passage ne doit pas se remarquer. S’il est clairement visible que je suis venue me servir et que l’aspect global du végétal cueilli est modifié après mon passage, c’est que j’y suis allée trop fort ou que je n’aurais pas dû cueillir du tout. Je ne prélève donc que les végétaux en quantité abondante, qui ont atteint leur taille adulte, et je procède avec parcimonie.

– tes essences tu choisiras : c’est la suite logique du premier point : ne cueillir que des végétaux qui poussent de façon abondante dans votre région. Par exemple vers chez moi en Loire-Atlantique, les chênes sont légion, avec des spécimens énormes. Par contre je ne vois jamais d’oliviers à l’état sauvage. 

– ton coup tu calculeras bien : la formulation est un peu triviale mais veut tout simplement dire que je ne coupe que ce dont j’ai besoin pour ne pas gâcher.

– équipé.e tu viendras : encore dans l’idée de protéger les végétaux cueillis, je viens toujours outillée : sécateur, coupe-branche… jamais ô grand jamais cueillir en arrachant les branches ou les racines, au risque de blesser voire tuer la plante ou l’arbre : glaner doit se faire proprement et dans le respect du végétal.

– à demander tu penseras : on peut glaner dans des endroits divers et variés, les coins que j’affectionne le plus : forêts et sous-bois, sorties d’autoroute, terrains vagues, bords de route… mais aussi dans le jardin de mes parents, ou de mes voisins! Evidemment, lorsque je suis sur un domaine privé je ne cueille jamais sans avoir demandé avant, et vous savez quoi? Dans 99% des cas les gens sont d’accord et acceptent volontiers. J’avais même fait des deals avec des voisins: appelez-moi avant de jeter! Quand ils taillent leur olivier ou coupent leurs têtes d’hortensia en fin de saison, je fais ma tournée pour récupérer tout ce qui m’intéresse: ça les arrange car c’est toujours ça de moins qu’ils devront broyer pour compostage ou emmener à la déchèterie. Et ça me permet d’avoir accès à des végétaux que je n’aurais pas trouvé dans la nature. Fidèle au sens premier du glanage, je fais aussi bien souvent les poubelles ou plus précisément je glane ‘au cul du camion’ lorsque je vais moi-même à la déchèterie! Le bon plan: y aller le lundi, quand les gens veulent se débarrasser de leur taille du weekend. Il est très rare que je reparte les mains vides (souvent même plus chargées qu’en arrivant!). Quand je vous dis que je suis dans une démarche zéro déchet je ne blague pas 😉

 

Quels végétaux glaner?

Comme je le disais plus haut, cela différera d’une région à l’autre donc à vous de regarder quels sont les végétaux qui poussent en abondance à l’état sauvage près de chez vous.

Pour ma part, les végétaux que je glane régulièrement : chêne, cotinus, clématite sauvage, fougères d’automne, lierre… Donc principalement du feuillage, je ne glane jamais de fleurs dans la nature (ou alors c’est de la cueillette ‘à domicile’ dans mon jardin, chez mes parents, chez mes voisins…)

 

Et la loi dans tout ça?

La réglementation est un peu obscure au sujet de la glane, mais j’ai trouvé ce document qui est assez complet je trouve.

Sans rentrer dans les petites lignes des articles de loi, je pense que c’est le bon sens qui doit primer : si vous glanez dans le respect du ‘code de conduite’ dont je parlais juste avant, en choisissant avec soin vos végétaux, en les respectant et en préservant l’équilibre et la biodiversité dans lesquels ils poussent, pas de raison d’avoir de problèmes…

 

Quid du prix?

J’en parlais déjà dans mon article sur le prix des fleurs.

Les végétaux glanés sont certes une matière première gratuite dans le sens où on ne les paye pas de façon classique à un producteur ou un grossiste.

Est-ce pour autant une matière première à ‘offrir’ à nos clients? Bien sûr que non! Car le prix final d’un végétal ne dépend pas uniquement de son prix d’achat mais de tout le travail qu’il représente, et la glane représente du travail qu’il est absolument normal de prendre en compte dans le calcul du prix pour le client.

Glaner demande du temps: pour repérer les bons endroits, la maturité des végétaux, pour cueillir, pour transporter, pour nettoyer, etc. 

Sans parler des frais d’essence et d’usure du véhicule car forcément on glane rarement à pied puisque c’est quelque peu encombrant…

Je vous l’assure, il est beaucoup plus simple pour un fleuriste de commander au chaud depuis son ordinateur un feuillage standard chez son grossiste que de ‘mouiller le maillot’ pour aller glaner… mais personnellement j’aurais du mal à m’en passer 😉

 

 

Vive la nature, vive le local et vive la glane ✊🏻🌿

glane fleuriste

image 1 : ‘Les Glaneuses’, Jean-François Millet, huile sur toile, 1857

image 2 : Dorothée Buteau