La solitude de la fleur française

solitude fleur française
picto de rose

Cela fait des mois que j’ai l’ébauche de cet article en tête, mais que je ne prends pas le temps de me poser pour le rédiger. Il faut croire qu’il me fallait un déclic, peut-être que la diffusion récente du reportage de France 5 a joué ce rôle, j’en reparlerai…

L’ecoresponsabilité, la fleur française, ce n’est pas la première fois que j’aborde ce sujet, j’en parlais déjà ici, ici ou encore ici. Je vous invite d’ailleurs à les lire ou les relire avant celui-ci, notamment le dernier car j’y aborde déjà pas mal de sujets, cet article en est la continuité.

J’essaye d’être la plus transparente et honnête dans ce que je vous expose ici, de présenter les choses sans fards. Ce sera le cas encore avec ces quelques lignes dans lesquelles je vous livre pourquoi, pour moi, la démarche vers plus de fleurs françaises s’apparente aujourd’hui pour les fleuristes à un vrai chemin de croix qui peut amener au découragement et à la solitude…

Solitude… le mot est peut-être fort mais je n’ai rien trouvé de mieux pour décrire le sentiment que je ressens et que, je pense, d’autres partagent.

Pourquoi : tout simplement car plus je m’engage vers la fleur française, plus je prends conscience que travailler seul.e est un énorme frein pour développer cet engagement.

En effet, j’en parlais déjà ici, s’engager vers plus de fleurs françaises ça veut dire pour la grande majorité des fleuristes passer un temps beaucoup plus important à gérer ses achats, car on multiplie les sources d’approvisionnement. 

Plutôt que de commander toutes mes fleurs chez 1ou 2 grossistes différents, j’en commande une petite partie chez mes grossistes + chez chacun des producteurs avec lesquels je travaille, qui ont chacun leur process de prise de commande, leurs jours et coûts de livraison. En pleine saison cet été 2021 j’avais jusqu’à 8 sources d’approvisionnement différentes (sans compter la glane)! 

Une sacrée gym mentale pour ne pas s’y perdre, et un budget livraison conséquent à la clé. 

Cependant pour ce point, même si ce serait évidemment plus intéressant si on trouvait (enfin!) un moyen viable de mutualiser la logistique, c’est un coût que j’assume car comme le prix d’achat des fleurs est en général légèrement inférieur chez les fermes florales par rapport aux fleurs d’importation, au final ça s’équilibre à peu près : ce que je gagne sur le prix des fleurs, je le perds sur les frais logistiques. De toute manière, je n’ai pas le choix car là encore le fait de travailler seule (et accessoirement d’être aussi maman de 3 enfants) ne m’offre pas d’autre alternative : clairement mon temps de travail dans la semaine est optimisé au maximum et je ne peux pas me payer le luxe d’aller perdre 1/2 journée voire plus pour allez chercher mes fleurs moi-même, car pendant que je fais ça personne ne confectionne mes commandes ou ne fais mes devis à ma place. Or j’aime bien dormir la nuit…

Pour en revenir aux commandes de fleurs : sur un mariage par exemple, mon budget fleurs global sera le même que je m’approvisionne auprès d’un seul ou auprès de 10 fournisseurs.

Et comme je suis du genre à vouloir encourager et faire travailler tout le monde, j’ai tendance à toujours prendre quelque chose chez tous les producteurs avec lesquels je travaille, plutôt qu’en privilégier un au détriment des autres.

Mathématiquement plus je vais diversifier les sources d’approvisionnement, moins mon ‘panier moyen’ chez chacun de ces fournisseurs sera élevé, et plus je serai… petite et pas très intéressante pour chacun d’entre eux! D’autant plus que comme je suis sur un modèle atelier ou je n’achète que ce dont j’ai besoin, de base ma consommation de fleurs est plus faible que celle d’une boutique classique.

Et pour couronner le tout: je suis exigeante! Pas dans le sens où je veux savoir quelles fleurs seront disponibles dans 6 mois : je suis tout à fait compréhensive sur le fait qu’en travaillant avec des fermes florales la disponibilité des fleurs est beaucoup plus fluctuante en fonction des aléas météo. Mais plutôt exigeante dans le sens où j’ai besoin de savoir en amont quelles couleurs /variétés je vais recevoir, le côté ‘panier surprise’ ne correspond pas à la façon dont je travaille. En particulier sur l’événementiel, j’ai une approche très précise de la couleur et je sais ce que je veux (et ce que je ne veux pas…) pour créer des palettes harmonieuses. 

Bref vous l’aurez compris: je suis une cliente PAR-FAITE … Petits volumes et exigeante, tout ce qu’on aime! Et je ne pense pas être la seule dans ce cas (enfin j’espère? 😅)

Et à côté de ça vous aurez d’autres fleuristes qui certes font du volume mais n’ont pas l’habitude de travailler avec des producteurs et ont des attentes similaires à ce que propose la Hollande, ce qui n’est pas envisageable avec des fermes florales : je comprends donc tout à fait que cela puisse ‘dégouter’ certains floriculteurs.trices qui vont privilégier la vente directe au détriment de la vente aux fleuristes qu’ils trouvent trop contraignante.

Plutôt que d’être vendues chez les fleuristes, leurs fleurs seront alors vendues en direct sur les marchés ou à la ferme. Ça implique que ce sont les producteurs eux-mêmes qui vont mettre en valeur leurs fleurs en réalisant des bouquets et autres créations.

Et à côté de ça, de plus en plus de fleuristes qui ne trouvent pas les fleurs qu’ils aimeraient travailler se lancent dans la production de fleurs, à petite ou plus grande échelle! 

Or floriculteur.trice et fleuriste, ce sont deux métiers à temps complet, avec des compétences et des savoir-faire différents. 

Qu’un.e floriculteur.trice sache faire des bouquets simples ça me semble important.

Qu’un.e fleuriste s’amuse à faire pousser quelques fleurs pour mieux connaitre et comprendre le développement des végétaux et avoir quelques petites bricoles du jardin à glisser deci-delà dans ses compositions, pourquoi pas!

Mais faire les deux? J’en reviens au point de départ : en travaillant seul.e c’est impossible.

Les seuls exemples que j’ai en tête, ce sont toujours au minimum des binômes : l’un s’occupe principalement de produire, l’autre principalement de créer et de vendre.

En développant ces modèles hybrides de producteurs/fleuristes, on exclut là encore tous les ‘petits’ qui travaillent seuls et ne peuvent pas se démultiplier et être sur tous les fronts.

Les producteurs qui aimeraient bien juste produire, et laisser aux fleuristes le soin de créer.

Les fleuristes qui aimeraient créer avec de jolies fleurs françaises, mais n’ont ni le temps ni les connaissances pour faire pousser eux-mêmes leurs fleurs.

Or nous sommes nombreux à vouloir / devoir travailler seul.es. Parce qu’on débute, parce qu’on n’a pas les ressources pour se développer, ou tout simplement par choix (c’est mon cas – j’aime travailler seule).

Heureusement, pour se sentir un peu moins tout seul dans son coin, il y a le Collectif de la Fleur Française qui permet de faire le lien entre les différents acteurs de la filière, et dont je suis fière et heureuse de faire partie. Plus de 300 membres à ce jour, partout en France.

Et pourtant? Quand les médias, St Valentin oblige, s’emparent du sujet des fleurs, c’est malheureusement souvent décevant…

Je parlais en intro du documentaire d’Hugo Clément diffusé il y a peu sur France 5 et qui a fait couler pas mal d’encre dans le milieu de la fleur française. Je partage l’avis de beaucoup à ce sujet: la première partie du reportage montrant la réalité du marché des fleurs est intéressante et je trouve ça bien qu’on informe à plus grande échelle les consommateurs sur la réalité de cette filière.

Par contre, pour ce qui était de présenter les alternatives, c’est peu dire que je suis restée sur ma faim… la production a fait le choix de couper au montage les représentants du Collectif, au profit de Fleurs d’Ici (start-up parisienne, sorte d’Interflora de la fleur française). Je ne doute pas que Fleurs d’Ici oeuvre dans le bon sens et contribue à faire progresser la filière, mais c’est un acteur parmi tant d’autres et je trouve ça vraiment dommage qu’il ait pris toute la place dans le peu de temps accordé durant l’émission à présenter les alternatives possibles.

Je pense que, comme beaucoup d’autres membre du Collectif, je me suis paradoxalement sentie très seule et bien petite suite à la diffusion de ce documentaire…

Et dans ces moments là… et bien j’aime bien coucher par écrit toutes ces pensées, et en garder une trace pour me souvenir de chaque étape de ce parcours souvent semé d’embûches!

Donc voilà, c’était un nouvel épisode de ‘Dear Diary, journal d’une fleuriste en constant questionnement existentiel…’

N’hésitez pas à me partager vos retours, c’est en échangeant et en confrontant les points de vue qu’on progresse (du moins ça fait du bien d’en parler, et comme j’aime bien dire, c’est moins cher que le psy!)